Par Julien Palayodan - Chroniques d’un rêve de Grand-duc
C’est l’histoire d’une quête née d’un besoin irrépressible : celui de nature, d’air libre, de silence et de chants d’oiseaux. Un jour de balade en forêt, je tombe sur une grande plume. Je la crois d’abord offerte par une chouette hulotte. Mais non…
L’ancien propriétaire est tout autre. Après quelques recherches, je découvre la vérité : il s’agit du Grand-duc, ce super-prédateur tout en haut de la pyramide. Le plus grand rapace nocturne du monde.
Et il vit là, tout près de chez moi, dans les falaises que je croyais connaître. À partir de cet instant, quelque chose bascule. La simple curiosité se transforme en passion, puis en obsession. Il me faut en savoir plus. Qui est-il ? Comment vit-il ? Où niche-t-il ?
Démarre alors un long chemin de quinze mois, des centaines d’heures consacrées à tenter d’approcher ce fantôme de la nuit, avec une idée fixe : croiser un jour son regard. Je m’organise avec méthode. Les sorties de repérage se multiplient, les heures d’écoute au crépuscule s’accumulent.
Je passe des soirées entières à l’affût, je lis, j’échange avec d’autres passionnés, je recueille leurs précieux conseils. Je questionne les voisins, les agriculteurs, tous ceux qui pourraient m’apporter un témoignage. Certains me disent : “Oui, il y a des hiboux par ici, j’en ai déjà entendu…” Cela suffit à rallumer l’espoir.
“Parfois, quelques secondes volées grâce à un piège photo me permettent de confirmer sa présence.” - Julien Palayodan©
D’autres fois, ce sont seulement des ombres fugaces dans la forêt, ou quelques notes graves qui résonnent dans la nuit.
“Mais je le sais désormais : il est là. Les pelotes, les lardoirs, les indices dispersés achèvent de me convaincre.” - Julien Palayodan©
Les saisons passent. L’hiver se fond dans le printemps, l’été s’étire puis s’efface. Je traverse parfois de longs mois sans aucun signe. Le doute m’envahit : est-il encore là ? A-t-il quitté le territoire ?
Alors je tente ma chance. Soirée après soirée, je m’installe, immobile, dans l’attente. Sans illusions, mais sans résignation non plus. Je me dis qu’un jour peut-être, il choisira de se montrer. Car c’est bien lui qui décide. Tout ce que je peux faire, c’est patienter. Cette attente, ce fantasme d’abord irréalisable, devient mon moteur. J’apprends à accueillir la frustration, à transformer le découragement en persévérance. Je travaille, je m’acharne, j’essaie d’être méthodique tout en laissant une place au hasard.
Jusqu’au jour où… Il est là. Dans ma nuit. Le Grand-duc se pose, face à moi.
“Le cœur battant, j’ajuste mon cadrage.”
Tout est réuni : la distance juste, la lumière qu’il faut, l’arrière-plan dégagé. Je déclenche…
Hibou grand duc - Julien Palayodan
Quelques images seulement, le temps d’un souffle. C’est un juvénile, encore maladroit, qui quémande vers l’adulte resté plus loin. J’ai l’impression d’entendre d’autres cris juvéniles et un adulte. Je redescends ce soir-là le cœur empli d’une joie rare, avec la sensation d’avoir reçu un cadeau immense.
Quinze mois d’acharnement, de patience, de doute et d’espoir, condensés en un instant. Un rêve impossible devenu réalité.
“C’est cela, la magie de la nature : offrir, à qui sait attendre, des rencontres qui dépassent toutes les espérances.”
Julien Palayodan